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Sorties culturelles

Découvertes livres

30 août 2007

Critique invitée : Véronique Grenier - Étudiante en philosophie

C. S. Richardson, La fin de l'alphabet

Ambroise Zéphyr n'a plus que 30 jours à vivre. Passionné d'art, de voyages et d'alphabet depuis son enfance, il fait sa valise en pleine nuit et entraîne sa femme, Zappora Ashkenazi, dans un voyage autour du monde, un périple dans lequel les destinations suivent les lettres de l'alphabet, le besoin de ranimer des souvenirs, de se réconcilier avec des lieux, de taire des interrogations. Ils passent ainsi par Amsterdam où Ambroise cherche un détail sur une toile de Rembrandt, par Berlin avec laquelle il doit se réconcilier et se convaincre qu'elle n'est pas aussi terrible que le racontait l'oncle Jack, la cathédrale de Chartres qu'il associe à une réussite professionnelle, Deauville où ils firent leur voyage de noces, «leur» Paris et Florence où il y a trop de tout, mais aussi des amis, le tailleur, les voisins.

Le lecteur, témoin au fil des pages de l'essoufflement d'Ambroise, est invité à partager l'intimité du couple, son passé et son présent, le sentiment d'urgence qui le presse, l'impuissance qui le gagne. Il est aussi le spectateur du plaisir que tous deux éprouvent à être ensemble et de la part de mystère qui persiste chez l'autre et qu'il faut percer avant la fin, pour comprendre, être rassuré, accepter de laisser aller. Ambroise et Zappora séduisent rapidement le lecteur, ils sont attachants, autant dans la joie des souvenirs que dans la violence de leurs sentiments et de leur peine, et il est plaisant de se trouver dans leur tête, de les suivre.

Le récit est, malgré la gravité du sujet, léger. L'auteur n'y a laissé que l'essentiel et ce, autant dans le contenu que dans la forme. L'écriture, presque «photographique», mise sur les détails, omet le superflu : l'économie des mots va de pair avec la situation, lorsque le temps manque, il est inutile de s'éterniser. Le fait que tout ne soit pas dit marque aussi l'impossibilité, parfois, de traduire en mots ce qui est vécu et donne alors un certain rôle au lecteur, celui de deviner, de compléter les phrases, de saisir ce qui ne peut être exprimé. Après un moment, le texte peut sembler décousu, mais cette apparence est nécessaire puisqu'elle ajoute au désarroi ressenti par les personnages. La lecture aurait cependant pu être facilitée s'il y avait eu plus de détails ou d'informations, notamment en ce qui concerne le but, et parfois même le lieu, de certaines destinations. Faire travailler le lecteur est certes une marque de confiance de la part de l'auteur, mais il est désagréable de devoir chercher dans les pages précédentes les indices manqués qui permettent de bien comprendre, de se situer.

Il est finalement intéressant de souligner la pertinence du texte «en boucle» qui ajoute à l'intimité du récit, le ferme à toute possibilité d'être autre et marque l'importance de chaque geste et de chaque parole. L'effet produit se compare à ce qui est ressenti lorsqu'on feuillette de vieux albums photos, vus des dizaines de fois, pourtant, mais qui suscitent encore des sourires. L'auteur semble ainsi convier le lecteur à lire et relire l'histoire, à l'infini si le temps le lui permet, afin qu'il s'en imprègne et qu'il en conserve un souvenir «complet», voire même «rond», que la fin ne devienne qu'une partie qui ne doit pas être détachée du tout. Le récit prend alors la forme d'un lieu de visite et permet ainsi au lecteur d'être plus qu'un spectateur en prenant part au périple d'Ambroise et de Zappora comme participant.

Le livre se termine doucement, sans surprise, et laisse cette impression d'avoir assisté à quelque chose d'important. Richardson, dans ce premier roman, raconte bien la vie juste avant la mort en donnant l'espace nécessaire aux silences et aux non-dits et en priorisant les gestes aux longues descriptions. Le caractère très feutré du texte et l'absence de débordements sentimentaux donnent au lecteur la possibilité de croire que la mort n'est pas nécessairement bruyante. Un certain réconfort, la sachant inévitable.

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